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Pour en finir avec la quête des origines




Un regard rafraîchissant sur le cosmopolitisme dans Cardinal Song de Vincent Giudicelli


D’un point de vue commercial, Cardinal Song de Vincent Giudicelli constitue un curieux exemple du cosmopolitisme qui semble caractériser la génération X, qui a grandi avec la soif de voyage des baby boomers sans pour autant hériter de l’insécurité financière qui a accueilli l’entrée sur le marché du travail la génération Y, couramment honnie dans le monde anglophone sous le nom de millennials. En effet, certains lecteurs se demanderont à quel public s’adresse ce roman arborant un titre anglophone, imprimé à Montréal par un auteur au nom de famille italien que l’on identifie pourtant sans peine au personnage du narrateur — bien que le discours de ce dernier, dépourvu de la moindre trace d’italianisme, soit ponctué d’expressions fortement hexagonales telles que putain, mec, bled et clope.


En dépit de ma familiarité avec la France métropolitaine, je n’ai pu m’empêcher de songer que le recours prononcé à un vocabulaire teinté d’argot parisien peut rendre la lecture de ce roman difficilement accessible à un public montréalais, ce qui a soulevé en retour la question de sa diffusion. Cardinal Song s’adresse-t-il surtout à la communauté de plus en plus large de Français installés sur le territoire québécois ou vise-t-elle directement un public français avide de récits de voyage? Parviendra-t-il à atteindre un public montréalais qui s’étonnera peut-être de ne voir aucune référence à sa réalité culturelle dans ce livre qui n’en intègre pas moins le patrimoine de la littérature québécoise?


Plutôt que d’y voir une erreur de marketing, je suis tentée de lier les conditions matérielles de production et de diffusion de ce roman à une nouvelle tendance en littérature contemporaine qui s’opposerait diamétralement à ce qu’un célèbre critique français du nom de Dominique Viart a appelé le « récit de filiation ». Cette étiquette générique regroupe un grand nombre de récits mettant en scène une quête généalogique au terme de laquelle de nombreux romanciers contemporains se lancent à la recherche de leurs origines. Au Québec, l’exemple des Murailles d’Erika Soucy publié chez VLB éditeur illustre ce phénomène en documentant le quotidien du père de la narratrice, suite au séjour sur la Côte-Nord, au chantier de La Romaine de l’auteure avec l’autorisation de son propre père.


À première vue, Cardinal Song pourrait très bien s’insérer dans cette vague, puisque l’intrigue de ce roman est précisément le récit d’une filiation. Marie, la copine du narrateur, qui n’est jamais explicitement nommé, souffre de ne pas connaître l’identité de son père. Après un voyage initial à Tunis auprès d’une mère avec laquelle elle entretient des relations difficiles, Marie abandonne le narrateur pour tenter de retrouver son père absent à Hanoï. Elle le retrouve finalement à Las Vegas, occupé à peindre en dix minutes le portrait des passants d’un hôtel de luxe à thématique italienne. Marie s’aperçoit alors que les employeurs de son père, Daniele Vimercati, ont affublé ce dernier du nom de Michele, censé rappeler Michel-Ange (Michelangelo). En l’observant de loin à son poste de travail, elle saigne du nez et ne l’aborde pas. Après l’avoir arrachée in extremis à une tentative de suicide, le narrateur se met également à suivre ce père absent et ne l’aborde pas non plus. Il conclut :


Cette nuit-là, en suivant à la place de Marie l’homme le plus important de sa vie, je me suis senti arrivé au bout de quelque chose. Je me suis senti entier. Complet. Résolu. Comme un problème de maths qu’on ne pourrait plus déconstruire. Je ne me suis pas senti remplacer son père ou quelque chose dans le genre. Mais en la sauvant, je me suis senti être celui par qui elle continuerait d’exister. On venait de créer notre propre lignée (p. 235–236).


Il n’est sans doute pas anodin que les parents de ce narrateur soient pratiquement absents de ce récit, lequel ne nous apprend pratiquement qu’une seule chose sur leur compte : ils sont morts dans un accident de la route. Il n’est pas non plus anodin que le seul autre personnage important du roman, Norman Klee, soit un Anglophone installé à Paris dont les origines, irlandaises ou écossaises, soient volontairement maintenues dans le flou.


Publié en 2017, à une époque où l’on s’inquiétait de plus en plus souvent de la montée du nationalisme qui caractériserait des événements aussi hétéroclites que le Brexit, l’élection de Donald Trump ou l’arrivée au premier tour du Front National aux dernière élections présidentielles françaises, le récit de Vincent Giudicelli appartient peut-être à une génération de jeunes auteurs qui ont hâte d’en finir avec la quête des origines. Il pourrait être intéressant de comparer cette œuvre avec Errance de Mattia Scarpulla, également parue chez Annika Parence en 2020. Ce roman aborde des thématiques similaires à celui de Vincent Giudicelli, en se positionnant lui aussi en faveur de la mobilité, davantage que du côté de l'enracinement et de la remontée imaginaire vers un pays où le rapport à la langue et à la culture natales seraient réputés plus faciles, car plus naturels.

Cardinal Song Vincent Giudicelli Annika Parance, 2017


Lien vers l’article d’origine : GIUDICELLI, Vincent. Cardinal Song, Montréal, Annika Parance, 2017. La Recrue du mois, 15 septembre 2017, https://medium.com/larecrue/cardinal-song-par-vincent-giudicelli-16d62213ea2f

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