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L'apprentissage du silence

Il m’a fallu sept ans pour écrire mon premier roman adulte.

 

J’emploie ce terme dans les deux sens, c’est-à-dire qu’il s’agit du premier roman que j’ai écrit en tant qu’adulte, et aussi de mon premier ouvrage de littérature générale, qui ne s’adresse pas d’abord à un public adolescent.

 

L’idée de l’écrire m’est venue en lisant Le monde d’hier. Dans son autobiographie, Stefan Zweig se souvient de la Belle Époque et décrit l’insouciance de ses contemporains, la légèreté avec laquelle la classe moyenne aisée viennoise du tournant du XXe siècle abordait la vie et les milieux culturels avec une grande curiosité pour l’avenir. Zweig s’adressait alors à un public qui venait tout juste de traverser la Deuxième Guerre mondiale, pour qui il était donc difficile d’imaginer cet optimisme, cette légèreté qui régnait sur l’Autriche et l’Europe cinquante ans plus tôt.

 

C’est à ce moment-là que j’ai eu envie d’écrire un roman qui raconte ce passage d’une époque à l’autre, en me demandant comment réagiraient des personnages qui ne vivraient pas le passage de la Belle Époque à la Deuxième Guerre mondiale, mais plutôt l’inverse : celui de la modernité vers un âge prémoderne.

 

Élisabeth et David sont nés de cette hypothèse, qui a été assez compliquée à développer sur le plan romanesque, compte tenu des difficultés que suppose cette chronologie inversée. Mais ça a été pour moi une expérience d’écriture extrêmement enrichissante, qui m’a fait traverser les continents et les siècles, avec des personnages qui m’ont longtemps habitée.

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L'apprentissage du silence

187 pages


ISBN: 9782924936016 (2924936012)

Prix: 20,95 $ (CAN)

Éditions Hashtag

Tarcau Miruna

 

Jeunes, bien nantis, Élisabeth et David ont tout pour réussir lorsque le récit débute sur la réunion annuelle d’une association féministe dont ils sont les cofondateurs.
Quelque chose différencie pourtant ce couple des autres membres de Women First, à Westmount : mariée depuis dix ans, Élisabeth demeure inconsolable après la mort de
sa fille unique, Lili, une enfant trisomique dont elle est la seule à déplorer la disparition. David pour sa part est bientôt soupçonné d’affiliations communistes, ce
qui les contraindra à s’exiler en Amérique du sud.

Cette double perte que représentent le deuil de leur fille et leur déménagement forcé marque le début d’un dérèglement temporel qui empêchera les protagonistes
de vieillir, alors même que le temps s’écoule pour eux à reculons. Depuis Buenos Aires jusqu’à Paris, en passant par l’Inde de la marche du sel, l’Haïti fraîchement émancipée
de sa période esclavagiste et l’Allemagne de Frédéric Nietzsche, leur existence prendra la forme d’une longue fuite en avant, au terme de laquelle l’effritement de
leurs repères temporels et géographiques bouleversera leurs convictions
personnelles.

Élisabeth et David seront ainsi tous deux amenés à s’interroger sur l’importance qu’ils accordent à ce qu’ils considèrent être les acquis de la modernité. Jusqu’où sontils prêts à aller pour lutter contre les inégalités raciales, sexuelles et économiques dont ils sont de plus en plus souvent les témoins quotidiens?

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À l’instar du symbole fédérateur qui a inspiré leur nom, les éditions Hashtag veulent être un lieu de rassemblement des discours contemporains.

 

Elles s’intéressent aux livres qui dépeignent les visages cachés de notre société. Écrits dans une langue simple, mais qui exprime la richesse des accents qui la compose, les récits du présent nous aident à mieux comprendre où l’on vit. 

 

Et ce présent doit impérativement être dépeint avec une attention particulière portée au réel dans toute sa complexité. Il doit rendre visibles toutes les marginalités invisibles qui composent le tissu de notre réalité  contemporaine. Il doit donner la parole aux minorités audibles. Il doit reconnaître l’identité des minorités trans ou queer. Il doit démystifier les tabous liés à la maladie mentale, aux abus, à la discrimination, faire place à la spiritualité autochtone. Il est temps que la littérature prenne le pouls des changements qui ont transfiguré notre rue, notre quartier, notre société – notre monde.

 

Qu’ils se livrent à nous sous la forme de romans, d’essais ou de recueils de poésie, ces récits prennent toujours la forme d’une histoire, à travers des personnages qui vous disent haut et fort  : « voici qui je suis ».

Radio Encounters: Miruna Tarcau’s Writing Journey

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Radio Encounters: Radio journalist Andreea Demirgian in dialog with writer Miruna Tarcau.

Miruna Tarcau started her writing career at a very young age, with a little help from her parents. 12 years later, after a BA and a Ph.D. in literature, Miruna is part of a new publishing house called Hashtag and soon a new book will be fresh out of print : L’apprentissage du Silence. Ladies and Gentlemen, Miruna Tarcau, on young beginnings and the art of professional storytelling.

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Andrea Demirgian, ToRofest 2018.

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D’auteur à éditeur, il n’y a qu’un pas
 

Deuxième édition pour ToRoFest, un salon bilingue sur la littérature, l’art visuel et la musique dédié à la culture roumaine au Canada. « Nous voulons promouvoir la culture roumaine à Toronto, confie Crina Maria Bud, l’une des organisatrices et professeure à l’Université York. En Roumanie, il y a une tradition francophone vraiment forte. Je ne vois pas comment on pourrait avoir un vrai dialogue culturel sans inclure les deux langues officielles. »

Parmi les activités organisées, il y avait De l’écriture à l’édition, une table-ronde animée par Anne Forrest-Wilson. Pendant une quarantaine de minutes, les invités Felicia Mihal, auteure et ancienne journaliste d’origine roumaine, et Miruna Tarcau, jeune auteure, ont raconté leur parcours et ont parlé de leur rôle d’éditrices au sein des Éditions Hashtag.

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Quitterie Hervouet, Le Métropolitain, 16 octobre 2018 

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Miruna Tarcau nous bouscule 

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MIRUNA TARCAU propose une étrange expérience avec L’apprentissage du silence. Élisabeth et David, un couple improbable, m’ont déstabilisé avec les rebondissements de leur histoire singulière. Je ne comprenais pas trop où l’écrivaine allait au début.

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Je ne lis jamais la quatrième de couverture et si je l’avais fait pour une fois, cela m’aurait grandement facilité la tâche. Ça m’apprendra. Après tout, c’est là une clef qui permet d’ouvrir la porte et d’entrer dans la maison. J’aurais compris que le roman se déroule à l’envers comme dans L’étrange histoire de Benjamin Button où le héros naît vieux pour redevenir un enfant. D’abord une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, ce texte est devenu un film de David Fincher qui a connu un beau succès. Miruna Tarcau part de l’époque contemporaine pour nous abandonner au début de la colonie française en Amérique.

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Je suis conscient que nombre de lecteurs n’embarqueront pas dans les étranges migrations de ce couple qui échappe au temps et au vieillissement. L’écrivaine nous demande de nous avancer dans un monde qui m’a fait penser à celui d’Albert Langlois de Daniel Grenier dans L’année la plus longue. Ce personnage échappe au temps pour traverser les siècles à partir de la Conquête de Québec en 1760 jusqu’à la période contemporaine. Il y gagne une forme d’immortalité, mais surtout une terrible solitude qui est peut-être le pire des châtiments qu’un humain peut endurer. Madame Tarcau emprunte la direction contraire et remonte les cercles du temps.

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Qu’on le veuille ou non, nous sommes ancrés dans notre époque. Tous piégés par la pensée qui balise notre milieu à la naissance, des idées qui guident tous les comportements. Il y a un monde entre les normes qui hantaient mon enfance et la société de maintenant. Chaque époque possède des tabous, des balises, des craintes et aussi s’appuie sur de grands rêves. Il faut une formidable originalité pour s’arracher à ces carcans et voguer dans un espace qu’il faut inventer jour après jour. C’est peut-être là le travail de l’écrivain que de chercher des sentiers parallèles, que de tourner le dos aux idées dominantes pour trouver une autre manière de voir et de respirer.

 

FUITE

 

Élisabeth et David quittent Montréal pour une question d’argent et de fraudes, on ne sait pas trop. Ça n’a guère d’importance. Ils vivaient dans un milieu fermé, une sorte de ghetto avec des préjugés qui se manifestaient dès qu’ils s’aventuraient en dehors de leur quartier.

 

L’affaire se compliqua lorsque le camp des talons hauts se mélangea à celui des pantalons pour offrir des rafraîchissements et des petits fours. À mesure que se multipliaient les compliments à l’hôtesse, dont l’absence n’intriguait d’ailleurs personne, Élisabeth s’aperçut que toutes ces remarques formaient des variations limitées sur les mêmes thèmes. Aucun domestique n’était digne de confiance, les enfants n’apprenaient rien à l’école, on déplorait le lent déclin de l’Occident. (p.15)

 

Le couple se retrouve en Argentine, un pays où tout peut devenir possible. Les voilà dans l’envers du monde qu’ils ont connu au Québec. Élisabeth devient gérante de bordel. Nous sommes loin de la petite bourgeoisie de Montréal et des rencontres dans les salons cossus. Les filles, l’alcool, les militaires, parce que c’est la dictature, rien ne semble les perturber. Les deux ne sont jamais taraudés par des questions de morale ou d’éthique. Le bien et le mal ne font pas partie de leurs bagages. Ils s’adaptent sans trop faire de vagues, plongent dans une nouvelle langue et oublient presque celle qu’ils parlaient il n’y a pas si longtemps à Montréal.

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MILIEU

 

Les individus, dans l’univers de madame Tarcau, se transforment et mutent selon le milieu social et l’environnement humain. Élisabeth et David deviennent des Argentins et peuvent très bien côtoyer les militaires, exploiter de jeunes femmes qui doivent se prostituer et danser. L’argent n’a pas d’odeur, on le sait. Tout comme ils se retrouveront aux Indes, parfaitement à l’aise dans la peau du colonisateur.

 

Élisabeth s’habitua vite à entendre les Argentins se traiter de couillons quand ce n’était pas de pendejos, de culeados, ou encore de cagônes. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de traiter les habitués de Women First de poils pubiens. Elle voyait encore moins envoyer l’un d’entre eux se laver le trou du cul ou bien sucer une couille, comme on entendait fréquemment dans les environs. Mais à présent que Montréal était derrière eux, elle réalisait à quel point ses anciens voisins avaient la bouche propre et l’esprit tordu. Encore qu’elle ne fut pas si propre que ça, leur bouche. Ici, à Buenos Aires, elle n’avait encore entendu personne se référer à Samuel comme à une « personne de couleur», Negrito, moreno, oui. Niega, jamais. (p.34)

 

Le couple se perd, se retrouve et mute selon les époques. Lui devient médecin et se retrouve dans les colonies où il vit en grand seigneur avec une nouvelle épouse et ses enfants. Élisabeth de retour à Montréal, ouvre une sorte d’accueil pour les enfants abandonnés avant de devoir reprendre la route et retrouver David.

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En remontant le temps, David adopte un jeune garçon : Friedrich Nietzsche. Le jeune homme a déjà écrit toute son œuvre. C’est plutôt étonnant, mais nous remontons le temps, faut jamais l’oublier. David, avec la collaboration de Karl Marx, travaille à installer une société socialiste dans les Antilles, une utopie qui a fasciné l’auteur de Zarathoustra. Il faut lire Victor-Lévy Beaulieu dans sa fantastique incursion du côté de Nietzche pour comprendre à quoi fait allusion madame Tarcau.

 

La scène se poursuivit ainsi jusqu’à ce que Franz ouvrit un tiroir où était rangée la correspondance de David, en tête de laquelle se trouvait cette fameuse lettre. Son contenu s’avérait être fort compromettant. Dans ce document, David se disait prêt à financer la création d’un parti communiste allemand, pour peu que Herr Marx ainsi que Herr Engels acceptassent de le seconder dans la création d’un état socialiste dans les Antilles françaises. (p.142)

 

Nous n’en sommes pas à une surprise près. Élisabeth deviendra nonne et mère supérieure d’une abbaye et même sera une sérieuse candidate à la sainteté. Après le bordel, le couvent, pourquoi pas.

Le tout se terminera à l’époque de la Nouvelle France, au début de la colonie alors que tout était à faire et à recommencer, avec l’ombre de Voltaire en plus et d’autres personnages célèbres.

 

MÉMOIRE

 

La fameuse mémoire… Comment fonctionne la mémoire quand le temps file à l’envers ? Ce qui a été n’est plus. Les personnages doivent continuellement se réinventer et apprivoiser une terrible solitude de plus en plus difficile à vivre.

Je n’ai pu m’empêcher de penser aux difficultés des émigrants qui quittent leur pays, des habitudes, des croyances, une langue pour s’installer dans un milieu où ils doivent tout effacer et réapprendre. Ils perdent leurs références, des manières de faire, des liens familiaux et ont la tâche terrible de s’inventer une nouvelle identité. Comment devenir un autre en quelques années ? Certains y parviennent rapidement et d’autres pas du tout. Parce qu’il faut redevenir un enfant en quelque sorte pour apprendre une nouvelle société et changer dans sa tête.

 

L’absence de truchements l’inquiétait au plus haut point. Cette communauté rassemblée à la hâte ne verrait jamais naître une cohésion sociale tant qu’il n’existerait pas de langue commune qui permettrait aux travailleurs de vivre ensemble. Tout en déplorant cette lacune, David lui-même ne s’était cependant jamais donné la peine d’apprendre le créole. (p.150)

 

L’histoire de l’humanité est marquée par ces déplacements, ces bouleversements d’être. C’est le cas de ceux et celles qui arrivent au Québec et qui se retrouvent fort démunis, surtout quand ils ont dû quitter un lieu où il n’était plus possible de penser et de respirer. Le dépaysement est d’autant plus fort qu’ils ont été forcés de faire un bond dans le temps à cause de guerres sans fin ou de catastrophes naturelles. Tous doivent alors changer de peau et travailler à devenir d’autres hommes et d’autres femmes.

Nous embrassons là toute la problématique des émigrants. Les individus finissent toujours par s’adapter, à se mouler aux habitudes et à la langue du plus grand nombre, mais cela provoque des heurts très souvent.

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Le roman de Miruna Tarcau demande un effort particulier. J’avoue m’être un peu égaré dans les dédales du temps, me demandant souvent où j’allais et dans quoi cette écrivaine voulait m’entraîner. J’ai compris qu’il fallait se laisser aller pour voyager, pour tout apprendre comme le jeune homme ou la jeune femme qui cherchent à se faire une place dans sa société.

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Miruna Tarcau réussit à déstabiliser et c’est fort heureux, à nous faire migrer dans notre tête en suivant ces personnages singuliers. Un texte qui prend des directions inattendues avec cette écrivaine originale. Apprendre le silence, c’est peut-être apprendre à se glisser dans un milieu sans provoquer de vagues et de remous. Se taire pour mieux entendre et mieux parler, pour s’adapter à de nouvelles vies et changer de peau.

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Blog littéraire d'Yvon Paré, 5 novembre 2018.

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ROMANS
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