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Ce paradis perdu qu’est l’enfance…




Entre le lyrisme et la nostalgie : Souffler dans la cassette de Jonathan Bécotte


Arborant un titre tout aussi énigmatique que son appellation générique de « roman poétique », Souffler dans la cassette de Jonathan Bécotte évoque, à travers une centaine de courts poèmes narratifs, les affinités électives de deux garçons du primaire, à un âge où l’amitié exclusive de deux « meilleurs amis du monde » a toutes les allures d’une relation passionnelle. Chaque page constitue un micro-récit relatant, avec une grande économie de mots, les événements qui ont contribué à renforcer les sentiments qu’éprouve le narrateur à l’égard de cet ami sans nom auquel il s’adresse à travers l’ensemble de l’ouvrage.


Le récit semble se dérouler le temps d’un seul été entre leur quatrième année du primaire – durant laquelle le narrateur et le destinataire des poèmes avaient été voisins de pupitre – et le début de leur cinquième année, où l’on apprend qu’après avoir été séparés dans des classes différentes, ils ne se sont plus jamais adressés la parole. La temporalité réduite de la trame événementielle a sans doute favorisé la division du récit en saynètes, à l’instar de celle qui a donné son titre à l’ensemble du récit :


À peine descendus de nos vélos,

On se ruait devant la console.

La cartouche était abîmée, un écran noir :

Tu as soufflé dans la cassette.


Tu as ressuscité le jeu. (p. 71)



Bien que certains événements ponctuent cet été mémorable – comme par exemple un voyage à Québec au cours duquel le narrateur fête ses « dix ans d’amitié » avec son ancien ancien voisin de pupitre –, ce sont surtout les descriptions de leurs jeux qui constituent l’essentiel du roman.


Quand on jouait, il fallait toujours que je

sois la victime

Celui ou celle qu’on kidnappe et surveille

Pour qui on se bat ou qu’on retient de force.

Je m’arrangeais toujours pour ne pas qu’on

me sauve

Pour passer plus de temps avec toi : être ton

Prisonnier (p. 41)



Celles-ci sont traversées de dialogues saisis sur le vif afin de mieux souligner tout ce que leur relation comportait d’implicites et de sous-entendus. Cultivant un art de l’inachevé, elles laissent une grande place à l’implicite, ce qui permet de saisir la nature de la complicité qui unit les personnages, et surtout l’ambiguïté des rapports que le narrateur souhaitait entretenir avec cet ami d’enfance :


Quand on réussissait le jeu,

Tu passais un bras autour de moi,

On soupirait en se craquant les doigts,

Tu me souriais et je pensais Je t’… (p. 80)



Une belle réussite, qui soulève cependant quelques questions quant au choix éditorial de faire figurer cette œuvre paru chez Leméac dans la collection Jeunesse.


Souffler dans la cassette

Jonathan Bécotte

Leméac, 2017

136 p.


Lien vers l'article publié à l'origine dans le webzine de critique littéraire La Recrue du mois :


BÉCOTTE, Jonathan. Souffler dans la cassette, Montréal, Leméac, 2017, La Recrue du mois, 15 avril 2017, https://medium.com/larecrue/souffler-dans-la-cassette-jonathan-bécotte-cec64c2ac3b

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